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 Du folklore médiéval à l’expérimentation archéologique, la révolution culturelle de la reconstitution du Moyen Âge en Europe

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MessageSujet: Du folklore médiéval à l’expérimentation archéologique, la révolution culturelle de la reconstitution du Moyen Âge en Europe   Du folklore médiéval à l’expérimentation archéologique, la révolution culturelle de la reconstitution du Moyen Âge en Europe Icon_minitimeMar 20 Nov 2012 - 14:16

Cpt Scheffel's fighter a écrit:
Pourquoi? Pourquoi, sur un forum d'un groupe de reconstitution historique de la seconde guerre mondiale, poster un tel article ?

Olivier Renaudeau, conservateur du département ancien du musée des Armées à Paris, s'est penché sur le rôle et l'utilité de la Reconsitution Historique en tant qu'Histoire Vivante. Ca à l'air anodin comme ça, une bande de passionné qui se déguisent en soldats le temps d'un week-end pour faire 'comme les vrais'. Mais les spécialistes et grands historiens commencent à se pencher sur nous... Et d'une façon sérieuse ! Plus sérieuse que ne pourrait le faire Vers l'Avenir ou RTL-TVI Wink

Pour tous ceux qui auront le courage de lire, c'est TRES intéressant ! Et ça remet à leur place beaucoup de choses !

Citation :


Du folklore médiéval à l’expérimentation archéologique,
la révolution culturelle de la reconstitution du Moyen Âge en Europe


Revêtir les vêtements et revivre les divertissements, les pratiques culinaires ou tout simplement les habitudes quotidiennes de nos ancêtres, constitue certainement un des moyens les plus ludiques de s’approprier les époques passées. La reconstitution historique, qui consiste essentiellement à ressusciter un site patrimonial en le repeuplant de personnages en costume censés évoquer ceux qui le fréquentaient au XIIe ou au XIXe siècle, ainsi que les événements s’y étant déroulés, est devenu aujourd’hui un loisir de masse, autant apprécié par les spectateurs qui se pressent nombreux aux sons et lumière et aux fêtes médiévales de l’été, que par ses praticiens.

Cette sympathique activité met en effet en mouvement, chaque week-end, des milliers d’adeptes de l’Antiquité gauloise et romaine, du Ier Empire ou de la Première guerre mondiale.

Nous nous limiterons cependant ici à la reconstitution historique médiévale, qui, pendant longtemps, a dominé toute autre forme d’histoire vivante*. Nous évoquerons les origines, déjà anciennes, de ces réincarnations historiques, loisir dont nous décrirons surtout les évolutions récentes, qui ne
devraient pas laisser indifférents les historiens médiévistes.


Les prémices de la reconstitution historique : de la commémoration à la fête médiévale

La reconstitution historique tire ses lointaines origines des manifestations commémoratives destinées à célébrer des épisodes ou des victoires militaires du passé. Parmi ses prémices, citons les jeux du cirque romain, où des combats entre gladiateurs ou prisonniers capturés étaient mis en scène pour évoquer les guerres anciennes de Marius contre les Cimbres, par exemple, ou celles de Trajan contre les Germains. Les plus spectaculaires, les célèbres naumachies d’Auguste, offrirent une recréation de la bataille navale de Salamine, à laquelle participèrent trois mille combattants.

La reconstitution médiévale est quant à elle le produit du goût romantique, beaucoup plus pacifique, alimenté par les romans de Walter Scott et par la redécouverte des monuments, des costumes et des armes du Moyen Âge. Une de ses premières expressions est sans doute le grand tournoi organisé par Lord Eglinton, en son château du Ayshire en Écosse, en août 1839[1].
Treize chevaliers appartenant aux meilleures familles d’Angleterre et équipés d’armures reconstituées inspirées de celles conservées à Windsor, s’affrontèrent pendant trois jours dans un déferlement de courtoisie « troubadour »*. L’événement aurait pu être splendide, mais fut gâché par un temps exécrable transformant le terrain en bourbier et l’effet général parut plutôt décevant aux spectateurs.

En Belgique, les festivités commémorant la récente indépendance du pays, autant que les réminiscences de la prestigieuse histoire bourguignonne de la Flandre, furent à l’origine de plusieurs tournois, à Bruxelles en 1880 et en 1905, et à Bruges avec le Pas de l’Arbre d’or en 1907[2].
Ces événements ponctuels représentent certes des étapes, mais ne constituent pas le berceau unique de la reconstitution historique médiévale telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui.

Un certain nombre de fêtes traditionnelles, en Europe, ont donné et donnent encore lieu à des évocations historiques, comme la Fête des Ménétriers de Ribeauvillé en Alsace, qui daterait des environs de 1390 et qui a été réactivée en 1890 après son interruption en 1778. À peine plus récentes, les Fêtes Johanniques d’Orléans sont célébrées depuis 1430, l’année suivant la levée du siège de la ville par la Pucelle. Le clou de cette manifestation est toujours aujourd’hui le grand cortège historique illustrant l’entrée de Jeanne d’Arc à Orléans, qui apparaît davantage comme une mise en scène de l’identité de la ville que comme la reconstitution authentique d’un événement précis.

L’exaltation des traditions identitaires de la cité et de ses quartiers, davantage que la commémoration historique, sont également le centre du Palio, cette course de chevaux disputée à Sienne, ou du Calcio, brutal jeu de balle florentin ressuscité en 1930. Mentionnons enfin les Moros y Cristianos, célébrés en Espagne particulièrement dans la province de Valence et dont les défilés fastueux mais fantaisistes évoquent les combats de la Reconquista [Fig. 1].

En France, en dehors de ces quelques festivités traditionnelles, l’essor de la reconstitution historique est cependant
directement lié à la formidable faveur qu’ont connue les spectacles sons et lumières et les fêtes médiévales à partir de la fin des années 70. Le développement de ces événements marque certes un renouveau de l’histoire locale, mais il est surtout le signe d’une volonté de redynamiser touristiquement des lieux patrimoniaux, phénomène que favoriseront également les lois de décentralisation de 1982.

Une grande partie des manifestations recensées par la Fédération Française des Fêtes et Spectacles Historiques, créée en 1986, qui regroupe les sites offrant ce genre d’animation, est née dans un laps de temps assez court. La Fête du grand Fauconnier à Cordes-sur-Ciel remonte à 1972, tandis qu’en 1978, est créé le spectacle du Puy-du-Fou. À Rodemack, en
Lorraine, la fête naît en 1979, à l’occasion du premier chantier de restauration des fortifications par l’association Rempart. La célèbre Fête des Remparts de Dinan (35) voit sa première édition en 1983, celle de Provins
en 1984, tandis qu’en 1986 sont créées les Fêtes du Roi de l’Oiseau au Puy-en-Velay et la fête médiévale de Bayeux. En 1989, enfin, s’ouvre le Grand Parc, complétant le spectacle nocturne du Puy-du-Fou par une animation diurne.

Les premières associations d’animation historique (on ne parlait encore que peu de « reconstitution »), ont émergé à
l’occasion de ces festivités. Il s’agissait alors (et il s’agit toujours) d’offrir au grand public des shows,
dont l’authenticité historique était bien moins déterminante que leur caractère divertissant ou spectaculaire. Les premiers axes privilégiés ont donc tout naturellement été la danse, la musique, les animations théâtralisées - jongleurs, bateleurs,
cracheurs de feu - et bien sûr l’escrime et les combats. Dans la lignée des cortèges historiques du XIXe siècle, le défilé des participants costumés est devenu un des éléments inévitables de ces fêtes médiévales, au même titre que le marché artisanal où se débitent statuettes en plâtre, bougies et savons à la lavande, le grand banquet du samedi soir et le feu d’artifice final.


Face au modèle britannique : les pionniers de la reconstitution française.

Tous ceux qui pratiquent aujourd’hui la reconstitution historique médiévale ont débuté leur carrière à l’occasion de ces festivités populaires et touristiques. Parmi les pionniers, citons les Chevaliers de Franche-Comté, toujours actifs aujourd’hui ou, parmi les professionnels qui ont profité de ce créneau, Spectacle et Chevalerie, créé par le cascadeur Gilles Raab et incontournable prestataire de joutes équestres [Fig. 2, 3, 4].

Jusqu’au début des années 90, les reconstitutions médiévales sont restées en France comme en Belgique très dépendantes de l’esprit folklorique de ces manifestations et les cascadeurs de combat aux armures approximatives, les gentes dames vêtues de robes taillées dans leurs rideaux comme les gueux en sac de jute aux visages charbonneux ont représenté et représentent encore dans l’esprit du public l’essentiel des animations historiques vivantes. Si l’histoire a peu à y gagner et si les clichés
traditionnels attachés au Moyen Âge y foisonnent largement, l’intérêt de ces manifestations réside cependant dans le véritable concentré de « lien social » qu’elles constituent, fédérant les énergies de nombreux bénévoles qui, en cousant des costumes, en peignant des décors ou en veillant à l’accueil du public, contribuent au développement touristique, mais également social, voire culturel de leur commune[3].

La reconstitution historique moderne est pourtant née ailleurs. Afin de comprendre la « révolution culturelle » que nous
annonçons dans le titre de cette contribution, il convient de délaisser un instant les fêtes historiques françaises des années 80 et de nous intéresser à la situation de ce genre de loisir en Angleterre, quelques années auparavant.

Au-delà des manifestations ponctuelles qui donnaient lieu à d’éphémères reconstitutions, la première société de reenactment digne de ce nom est née en Grande Bretagne en 1967. Ses créateurs n’étaient pas des passionnés de l’escrime médiévale ou de la calligraphie lancastrienne, mais s’adonnaient aux wargames* et étaient désireux de s’évader des plateaux où ils faisaient manœuvrer des armées de figurines miniatures en reconstituant les batailles de la révolution britannique. Souhaitant redécouvrir dans leurs dimensions réelles les conditions de vie des soldats de Cromwell ou des cavaliers de Charles Ier, ils se font tailler des costumes du milieu du XVIIe siècle, se procurent des répliques de mousquets et constituent un groupe qu’ils nomment The Sealed Knot, du nom d’une société secrète royaliste créée après la décapitation du souverain Stuart.

Parallèlement, des amateurs de tir à poudre noire cherchent à pimenter leurs activités sportives en adoptant les tenues des combattants dont ils manient les armes. en 1968, The Southern Skirmish Association est fondée par des passionnés de la Guerre de Sécession, tandis qu’en 1971, la Sabre Society se consacre à l’époque napoléonienne. La même année naît The
Vikings
qui, comme son nom l’indique, s’intéresse à la présence danoise en Angleterre. La fin des années 70 voit la création de la prestigieuse Ermine Street Guard qui reconstitue une légion romaine sous Hadrien, ainsi que celle de la White Company.

Cette dernière mérite quelques développements, car son rôle est essentiel. Bien que le nom de cette société soit tiré du roman historique de Conan Doyle illustrant les combats des Grandes Compagnies dans la seconde moitié du XIVe siècle, elle est surtout connue pour avoir travaillé sur la Guerre des deux Roses, ce très dur conflit fratricide opposant les Lancastre et les York, puis les York et les Tudor dans la seconde moitié du XVe siècle. Cette guerre gardera la faveur des reconstitueurs médiévistes britanniques et influencera fortement les amateurs du Continent [Fig. 5].


Structuration d’un réseau et diffusion du modèle britannique

Comme on peut déjà le constater à l’énumération des périodes historiques qui suscitent l’intérêt des reconstitueurs, la dimension militaire de leur activité était prépondérante. Les créateurs de ces regroupements étaient en effet en majorité des hommes, passionnés, comme nous l’avons vu, de wargames, d’escrime de spectacle ou de tir à poudre noire. Même si la dimension guerrière de ce divertissement est encore très marquée, rares sont aujourd’hui les associations à ne pas comporter également des activités civiles (ne serait-ce que l’intendance chargée de nourrir tous ces beaux guerriers !) et certaines sociétés ont particulièrement développé des animations axées sur l’artisanat ou les métiers anciens, ce qui a favorisé une féminisation croissante de ce loisir.

En l’espace de deux décennies, la création de plusieurs centaines de groupements, réunissant des milliers d’adhérents passionnés par la plupart des périodes de l’histoire britannique, a entraîné en Angleterre la formation de tout un réseau d’artisans permettant aux associations de s’équiper.

Les reconstitueurs, quelle que soit la période considérée, ont d’abord besoin de se vêtir pour incarner les personnages qu’ils ont choisi de faire revivre. Ils doivent retrouver des étoffes conformes à celles employées à l’époque représentée, des patrons historiques, des chaussures, des armes, armures, pièces d’équipement, des tentes pour se loger, de la vaisselle,
des lanternes, de la monnaie, des meubles, voire des harnachements pour les chevaux, et tout le menu matériel nécessaire à l’alimentation, à l’hygiène ou au confort de l’archer gallois du XVe siècle ou du gentilhomme de l’époque Tudor [Fig. 6].

Se sont ainsi mis en place de véritables marchés, où toutes ces merveilles pouvaient être vendues contre esterlins sonnants et trébuchants aux nombreux amateurs.

Pour permettre à ces passionnés d’histoire de partager leurs recherches et leurs expériences, des festivals de reenactment (Kirky Hall, Rockingham Castle) se sont mis en place, attirant plusieurs centaines de participants qui, toutes époques confondues, campent, manœuvrent, proposent démonstrations et animations pédagogiques.
Enfin, les organismes qui gèrent le patrimoine monumental britannique, comme le National Trust et l’English Heritage, ont compris tout l’intérêt didactique et également touristique d’animer les vieilles demeures par des
personnages en costume et éditent chacun un guide annuel des centaines d’événements proposés à travers toute l’Angleterre.

À partir de la fin des années 80, le modèle britannique de la reconstitution historique archéologique commence à se diffuser sur le Continent ; une association médiévale joue alors un rôle de véritable pionnier en la matière. Certains membres de la White Company, dont nous avons évoqué la naissance, fondent en Suisse, en 1988, la Company of Saynte George, qui travaille quant à elle sur les dernières guerres de Bourgogne, à l’époque de Charles le Téméraire. Très exigeante en termes d’authenticité historique et archéologique, dotée d’un solide sens de la publicité (plusieurs ouvrages largement illustrés
de photographies sont publiés par les animateurs du groupe[4]), cette société a joué et joue toujours un rôle de premier plan en tant que référence pour la reconstitution du XVe siècle [Fig. 7].

La White Company, invitée également en France, notamment au Puy-en-Velay et à Dinant au début des années 90, provoqua une véritable déflagration dans le petit milieu encore très bricoleur et très amateur de la reconstitution historique française. Ceux qui ont découvert ces praticiens britanniques (l’auteur de ces lignes en a fait partie) ont véritablement reçu une claque magistrale et il fallait avoir bien peu d’amour propre pour ne pas sentir le ridicule de nos petites armures
forgées avec les moyens du bord et de nos chausses en lycra face aux répliques d’objets de musées qui composaient leur
équipement.


La « révolution culturelle » de la reconstitution française

La première association française à avoir adopté la rigueur archéologique dont la White Company avait donné l’exemple est sans doute l’association lilloise Lys et Lion, qui s’est intéressée à ce créneau chronologique très pratiqué
outre-Manche : la seconde moitié du XVe siècle.

Comprenant qu’une reconstitution de qualité nécessitait du matériel réalisé par des professionnels, les Français ont commencé à fréquenter les marchés historiques anglais pour s’équiper, se rendant ainsi à Cressing-Temple [Fig. 8], à Oxford puis à Warwick… Parallèlement, afin de se confronter à ce qui était à
l’époque le modèle européen de la reconstitution, ils se sont également déplacés en Angleterre pour participer aux événements ouverts aux reconstitueurs étrangers, la bataille de Tewkesbury[5] notamment, épisode de la guerre entre les Lancastre et les York où avait combattu un petit contingent français prêté par Louis XI à sa cousine Marguerite d’Anjou, épouse du malheureux Henri VI de Lancastre [Fig. 9].

En un laps de quelques années, entre 1995 et 2000, ces échanges et ces rencontres de part et d’autre de la Manche contribuent à faire très nettement progresser le niveau de la reconstitution historique médiévale française. Ils consacrent également la prépondérance, en Europe, de la période 1450-1480, qui était jusque vers 2005 la plus illustrée par les reconstitueurs, si l’on excepte sans doute la période napoléonienne. Des revues francophones populaires, ouvrant largement leurs colonnes à l’histoire vivante, comme Moyen Âge ou Histoire Médiévale (devenu Histoire et Images Médiévales), se créent et, comme en Angleterre, un réseau français d’artisans, de marchés d’équipements historiques et d’événements multi-périodes se met en place au début des années 2000. Enfin, au-delà des habituels guerriers en armure et grâce à une forte féminisation des effectifs, les activités civiles se diversifient et se multiplient.

L’essor de ce loisir et la curiosité insatiable de ces praticiens va permettre l’émergence d’un nouveau public d’historiens amateurs, qui recherchent avidement les sources, les modèles, les documents permettant de faire revivre dans toute son étendue la culture matérielle de la seconde moitié du XVe siècle. Sans que leurs auteurs ni que les instances scientifiques en prennent conscience, les études portant sur la draperie médiévale, la céramique populaire ou les étains domestiques gothiques[6], commencent à être minutieusement dépouillées, analysées et commentées par « le milieu ». Faute de publication systématique des recherches archéologiques urbaines françaises, les monumentaux rapports des fouilles de Londres ou d’Exeter deviennent les livres de chevet de maints amateurs que rien ne prédisposait à se passionner pour ces austères publications scientifiques. Par exemple, les typologies et les coupes archéologiques de mobilier céramique circulent par le biais d’Internet, afin de servir de référence à des potiers qui s’attachent à retrouver les techniques de cuisson en atmosphère réductrice, l’art des glaçures plombifères ou celui d’ourler la lèvre d’un pichet à boire [Fig. 10].

Enfin, des amateurs de combats médiévaux (parfois anciens cancres en histoire) dépouillent le Dictionnaire raisonné des objets mobiliers d’Eugène Viollet-le-Duc et apprennent l’italien ou l’allemand pour déchiffrer les ouvrages, confidentiels, dédiés aux armures de Santa Maria delle Grazie à Mantoue ou à la collection de harnois du château de Churburg.

Alors que le milieu de la reconstitution accomplissait ce bel effort de recherche d’authenticité, les fêtes médiévales, cadre habituel des interventions publiques de nos associations, sont restées désespérément semblables à elles-mêmes, les organisateurs de ces manifestations n’ayant pas su dépasser les clichés habituels et les stéréotypes étroitement attachés au Moyen Âge. Ils n’ont pas davantage vu le bénéfice, en termes pédagogiques ou en termes de médiation patrimoniale, que ces passionnés, devenus pour certains particulièrement ferrés sur la culture matérielle médiévale, pouvaient apporter à des festivités usées jusqu’à la corde.

Les reconstitueurs ont donc eu tendance à déserter ces événements qui ne comportaient plus d’intérêt pour eux et ont alors pris
l’habitude de se rencontrer entre eux, en privé et sans public, dans des lieux préservés.

En revanche, certains musées, centres archéologiques et sites patrimoniaux ont su discerner les évolutions que nous venons de décrire [Fig. 11] et les reconstitueurs participent régulièrement à la valorisation de sites comme le château de Crèvecœur, en Basse-Normandie [Fig. 12], le musée archéologique de Marle, dans l’Aisne[Fig. 13], celui de Walraversijde en Belgique [Fig. 14], le château du Haut Koenisbourg, en Alsace, celui de Dourdan en Ile-de-France, voire les Archives Nationales à Paris[7].


Le consommateur et l’érudit

Cette révolution culturelle a cependant un étrange corollaire ; la plupart des associations de reconstitution médiévale,
malgré une qualité croissante, limitent leurs efforts à l’exploration de la culture matérielle du Moyen Âge et à l’acquisition ou à la fabrication de costumes, d’armes ou d’objets archéologiquement conformes à ceux qui pouvaient être portés dans la seconde moitié du XVe siècle.

Revêtir un pourpoint taillé dans un drap de laine teinté à la gaude ou au pastel et cousu à la main, arborer à sa ceinture la réplique exacte d’une dague conservée dans les vitrines du musée de l’Armée, représentent certes un bel effort, mais à quelle fin ? La plupart des associations se contentent souvent de cet étalage d’objets historiques et s’aventurent peu dans l’évocation des mentalités, des structures sociales, de la culture ou de l’imaginaire des hommes et des femmes dont ils portent le costume et dont ils imitent au moins la vie matérielle.

De plus, le réseau d’artisans et de marchés spécialisés qui s’est constitué en Europe et la facilité des échanges par Internet, ont permis la naissance du reconstitueur-consommateur qui, contrairement aux pionniers des années 90, se contente de s’équiper à grands frais, sans aucune recherche historique personnelle, sans revenir aux sources archéologiques,
archivistiques ou iconographiques et qui copie tout bonnement une reconstitution proposée par un collègue. Ce « reconstommateur », qui s’équipe en mai et en octobre au marché de Pontoise[8] ne fait guère plus que de la « reconstatation » historique[9].
Citation :
NB: Ca ne vous rappelle rien chez nous? Very Happy


De fait, depuis deux ou trois ans, la seconde moitié du XVe siècle a perdu sa prééminence dans le milieu de la reconstitution médiévale : des expériences intéressantes sont actuellement tentées pour le XIIIe siècle ou pour le début du XVe siècle [Fig. 15 et 16], mais il est à craindre que ces périodes encore peu traitées par les fabricants de matériel archéologique, ne soient à leur tour affectées par ce consumérisme historique.

Il serait donc intéressant et salutaire pour la reconstitution comme pour l’Histoire, que les historiens de métier prennent la mesure de ce formidable public que leurs études ont contribué à façonner, mais qu’ils ignorent, au mieux, ou considèrent, au pire, comme de doux illuminés. Ces milliers de passionnés, qui continuent à se produire en public au gré des rassemblements estivaux, représentent certainement, après la télévision, le second diffuseur de masse de la culture historique médiévale. Ils posent même directement la question de la réception des études académiques : il est étonnant de constater le peu d’écho que
l’histoire sociale, pourtant dominante au sein du milieu universitaire français, rencontre auprès de ces associations, qui n’hésitent pourtant pas à se tourner vers des publications rares ou étrangères pour trouver des réponses aux interrogations très concrètes qu’elles sont amenées à se poser, et auxquelles répond peu la science historique contemporaine.

Les centres de recherche archéologique, les sites patrimoniaux, les musées, les universités pourraient peut-être s’appuyer sur
ces associations de reconstitution pour tenter de faire partager au grand public d’autres savoirs que le tissage aux cartons ou que le maniement de la hallebarde…

Les recherches les plus intéressantes qui s’effectuent aujourd’hui dans le domaine de la reconstitution historique, concernent
d’ailleurs plutôt l’Antiquité gallo-romaine, grâce à la collaboration étroite qui a pu s’établir entre archéologues et reconstitueurs. Et les résultats qui en découlent contribuent à balayer tous les clichés que « nos ancêtres les Gaulois » nourrissent encore dans l’opinion publique. Un nouvel homme gaulois est véritablement en train de naître.

À quand un nouvel homme médiéval ?



Olivier Renaudeau

Conservateur du Patrimoine

Musée de l’Armée, Paris.



Liste des figures

Clichés réalisés par le photographe Jacques Maréchal, http://www.pixures.be/fr/index.php

Fig.1. Valence, défilé lors des fêtes des Moros y Cristianos.

Fig. 2. Les Chevaliers de Franche Comté,pionniers de l’animation médiévale française.

Fig.3. Les cascadeurs de Spectacle et Chevalerie, ont accompagné l’essor des animations médiévales en France en proposant de nombreuses joutes et tournois.

Fig.4. Gilles Raab, fondateur de Spectacle et Chevalerie, est aujourd’hui encore très actif dans le milieu de l’animation à thème médiéval.

Fig.5. La reconstitution de la bataille de Tewkesbury, commémorant un épisode de la Guerre des Deux Roses, est un événement réputé en Europe car largement ouvert aux reconstitueurs continentaux..

Fig.6. Échoppe d’un artisan proposant sa production au marché de Cressing Temple (Grande-Bretagne). La reconstitution historique a entraîné la résurgence de métiers oubliés, comme ici, le batteur d’armures.

Fig.7. Membre de la Company of Saynte George, évoquant les troupes d’ordonnance bourguignonnes à l’époque de Charles le Téméraire.

Fig.8. Vue d’ensemble de la grange de Cressing Temple, où se tenait chaque année un marché du re-enactment très fréquenté.

Fig.9. Scène de la bataille de Tewkesbury : les activités guerrières restent majoritaires parmi les thématiques évoquées par les reconstitueurs historiques.

Fig.10. Ensemble de céramiques médiévales reconstituées d’après des modèles archéologiques.

Fig.11. Machines de guerre reconstituées au château de Tiffauges en Vendée.

Fig.12. Le site patrimonial de Crèvecoeur-en-Auge (Calvados) a fait de la reconstitution historique un des moteurs de son activité culturelle.

Fig.13. Reconstitution de construction en torchis sur le site du Musée des Temps Barbares, à Marle (Aisne).

Fig.14. Les maisons médiévales du domaine archéologique de Walraversijde, près d’Ostende (Belgique), sont animées par le personnel du musée et par des reconstitueurs en costume.

Fig. 15 et 16 : les animations médiévales de la cité de Bevagna, en Italie, prennent la forme originale et spectaculaire d’un concours de machines et d’installations artisanales, reconstituant les industries du XIIIe siècle.


Bibliographie récapitulative des ouvrages mentionnés

Embleton, Gerry, Howe, John, The Medieval Soldier, 15th Century Campaign Life Recreated in Colour Photographs, London, Windrow &Greene, 1994.

Gagnière, Claire, Rôle des spectacles historiques dans le développement local: exemple de la ville de Provins, mémoire de maîtrise de l’Université d’Angers, sous la dir. de Maria Gravari-Barbas, Angers, 2001.

Riddarlek och Tornerspel, catalogue de l’exposition, Livrustkammaren, Stockholm, 1992.

Rouxel, Sylvie, Quand la mémoire d’une ville se met en scène, étude sur la fonction sociale des spectacles historiques, l’exemple de Meaux, Paris, La documentation Française, 1995.




[1] Voir la notice en anglais consacrée par Karen Watts à cet événement dans le catalogue de l’exposition Riddarlek och Tornerspel, Livrustkammaren, Stockholm, 1992, p. 449-452.

[2] Sur la pratique médiévale du pas d’arme, voir l’article de Sébastien Nadot dans le présent recueil.

[3] Voir l’étude de Claire Gagnière, Rôle des spectacles historiques dans le développement local: exemple de la ville de Provins, éd. Université d’Angers, 2001.
Le son et lumière de Meaux a également été le sujet d’une étude comparable : Sylvie Rouxel, Quand la mémoire d’une ville se met en scène, étude sur la fonction sociale des spectacles historiques, l’exemple de Meaux, Paris, La documentation Française, 1995.


[4] Par exemple : Gerry Embleton et John Howe, The Medieval Soldier, 15th Century Campaign Life Recreated in Colour Photographs, London, Windrow &Greene, 1994.

[5] La reconstitution de cet épisode se déroule tous les étés au mois de juillet et s’accompagne d’un marché historique prisé.

[6] L’ouvrage de Dominique Cardon La Draperie au Moyen Âge, (CNRS éditions, 1999), a ainsi touché un public bien plus large que celui des chercheurs spécialistes des industries textiles et les études du même auteur sur les plantes tinctoriales, ont servi de support à nombre d’audacieuses expérimentations.

[7] Voir, dans ce même volume, l’article de Loïc Leymerégie.

[8] Événement très couru, organisé par l’Association Pour l’Histoire Vivante, fondée par Christophe Dargère.

[9] Selon une pertinente formule que je dois à Nicolas Baptiste, reconstitueur médiéviste belge.
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MessageSujet: Re: Du folklore médiéval à l’expérimentation archéologique, la révolution culturelle de la reconstitution du Moyen Âge en Europe   Du folklore médiéval à l’expérimentation archéologique, la révolution culturelle de la reconstitution du Moyen Âge en Europe Icon_minitimeMar 20 Nov 2012 - 14:16

gennaker a écrit:
"La reconstatation historique"!! tellement vrai!! Very Happy
Le papier est long mais vaut son pesant de vérités dérangeantes... Il y aurait certainement à rajouter un chapitre sur la "reconstatation" seconde guerre mondiale, avec quelques composantes peu flatteuses sur les motivations "extra historiques" de certains...
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MessageSujet: Re: Du folklore médiéval à l’expérimentation archéologique, la révolution culturelle de la reconstitution du Moyen Âge en Europe   Du folklore médiéval à l’expérimentation archéologique, la révolution culturelle de la reconstitution du Moyen Âge en Europe Icon_minitimeMar 20 Nov 2012 - 14:16

Cpt Scheffel's fighter a écrit:
Bah écoute Denis... On va tenter ça alors Very Happy On l'enverra à Renaudeau pour voir ce qu'il en pense Wink

Reconstatation... mot à retenir ! Wink
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