Au Fort de Saint-Martin-de-Varreville, le lieutenant Wolf Meydam, qui fait fonction de commandant ne capitulera pas. Il l'a dit à son voisin:
-Les Anglais peuvent toujours venir, ils n'entreront jamais dans ma forteresse, Monsieur Bertot.
-Oui mais... s'ils ne viennent pas par mer... ils viendront par air...
-Ils ne m'auront pas vivant! crie le lieutenant.
M. Bertot se tait; devant un homme en colère, il ne faut pas en dire trop long!
Le Fort de Saint-Martin-de-Varreville est un grand ouvrage composé de sept gros blockhaus. Il est garni de six fortes pièces de canon sous casemates et d'une dizaine de mitrailleuses lourdes tirant sous tourelles blindées.
Deux autres canons sur plate-forme tournante balaient le tour d'horizon. Sur le rebord de chaque plate-forme sont dessinés les villages et les hameaux, les bouquets d'arbres et les fermes, les clochers et les hauteurs, avec toutes les hausses calculées pour chaque objectif.
De plus, une grosse pièce tire sur la mer, vers les îles Saint-Marcouf, c'est une position inexpugnable.
Dans la nuit du 5 au 6 juin, deux parachutistes sont entrés chez M. Bertot, la ferme au silot de pierre. En se cachant au long des murs de la ferme, le patron leur montre la pièce qui tire sur le large, puis celle qui balaie la plage de Sainte-Marie-du-Mont. Ils vont chercher leur lieutenant.
M. Bertot le conduit, en se coulant dans les fossés, jusqu'à 100 mètres du blockhaus...
-Où mines ? demande le lieutenant.
M. Bertot lui indique les emplacements et puis:
-Il y a là un fil téléphonique...
-Coupez-le. Nous allons chercher des renforts.
M. Bertot coupe le fil... mais en revenant, au-dedans de lui, il rumine;
-Ca ne serait pas drôle s'ils nous faisaient le coup de Dieppe .
Dans la nuit, les parachutistes veulent attaquer; ils parviennent à s'approcher des blockhaus, mais l'ouvrage est inabordable et l'énergie, la dureté du lieutenant Wolf Meydam, indomptable.
Les parachutistes sont refoulés dès le matin, ils ne sont pas d'ailleurs en forces suffisantes; un officier et des hommes qui devaient participer à la neutralisation du Fort ont été parachutés à Hiesville; ils n'ont pas encore rejoint leur objectif.
A 7 heures, les premières troupes de débarquement approchent. Les canons du Fort continuent de faucher et mitrailler la tête de plage aux percutants et aux fusants. Une des pièces tire, tire, forcenée, diabolique, bien à l'abri dans sa casemate aux portes blindées, aux murs de béton armé de 4 mètres d'épaisseur. Elle tire par une meurtrière métallique, une énorme, souple et obéissante rotule d'acier qui met les pointeurs et tireurs absolument à couvert; elle prend d'enfilade la longueur des sables vers la Brèche de Sainte-Marie-du-Mont, vers Bosc-Guillot et le Grand-Vey.
Dans ses abords immédiats, les mitrailleuses tuent. Impossible aux démineurs et troupes d'assaut d'approcher.
Un avion, un chasseur américain, vient s'écraser près d'un blockhaus; il gît abattu, étendant ses ailes mortes à l'intérieur de l'ouvrage et le Fort tire toujours sur la Brèche de Sainte-Marie; il a beau jeu d'y faire un carnage.
Les Américains parviennent enfin à le réduire avec des engins incendiaires et quand ils y pénètrent, à 5 heures du soir, il n'y a plus là que trois hommes vivants que, furieusement, ils tuent... sauf un.
Des corps carbonisés gisent à terre; des blessés, des morts ont brûlé dans les lits...
La prise tardive du Fort de Saint-Martin-de-Varreville explique le retard apporté au débarquement sur l'extrémité de la plage en direction nord; elle explique l'avance plus rapide vers le sud et la libération plus prompte de Sainte-Marie-du-Mont. Elle explique enfin la situation difficile dans laquelle se sont trouvés les éléments parachutés entre Saint-Martin-de-Varreville, Beuzeville-au-Plain et Sainte-Mère-Eglise où la riposte des batteries s'est maintenue de ce fait plus longuement que dans la région sud de la tête de plage, où elles furent plus rapidement anéanties.
LA BRECHE DE SAINTE-MARIE-DU-MONT - François LEMONNIER-GRUHIER