La bataille de la forêt d'Hurtgen commence...
Le 13 septembre au soir, la première ville allemande est capturée par le 1st Bn. du 39th I.R., la compagnie "C" en tête. Il s'agit de Roetgen (ou Rötgen), ville frontière au nord-est d'Eupen.
Charles Scheffel (C.O. de la compagnie "C") s'en souvient :
À la tombée de la nuit, le bataillon s'installe à l'extérieur de la ville pour y passer la nuit. Roetgen avait été désertée aussi bien par les troupes ennemies que par les civils. Scheffel envoya malgré tout des patrouilles par sécurité, et l'une d'entre elle, ayant découvert une voie ferrée (ce qui est toujours inquiétant, puisque cela signifie que l'ennemi peut facilement recevoir du renfort), voit arriver un train à une allure très lente. Il s'arrête, en sortent des civils à l'attitude fantomatique, transportant des valises et autres baluchons. Un des soldats de la patrouille dans son rapport les comparera à des réfugiés morts-vivants. Ils descendirent des wagons, et sans prêter attention aux soldats américains, continuent leur "périple" vers le sud, dans les sombres forêts d'Eupen. Les GIs de la "C" co. ne les reverront jamais.
La nuit est froide et humide, et le lendemain matin, Charles Scheffel se rend au P.C. de bataillon pour rencontrer celui qu'il appelle "le nouveau". Leur commandant du bataillon ayant été blessé trois jours plus tôt (LTC Henry P. Tucker), c'est le LTC Oscar H. Thompson qui le remplacera, à la grande surprise de Scheffel qui le connait déjà : Thompson était son commandant de compagnie en Afrique lorsqu'il était encore Platoon Leader dans la "B" Co.
Thompson lui serre la main amicalement, puis commence son briefing avec les officiers du régiment.
Sont présents :
- LTC Oscar H. Thompson (CO)
- CPT James Richardson (XO)
- Capt Edwin A. Perry (S-3)
- 1st LT Robert L. Bell (S-2)
- CPT Ralph G. Edgar ("A" co. CO)
- CPT Jack A. Dunlop ("B" co. CO)
- CPT Charles Scheffel ("C" co. CO)
- CPT William M. Thomas ("D" co. CO)
L'objectif d'aujourd'hui est le même que la veille... Prendre la ville de Düren, mission qui vient directement du HQ de Collins (VII Corps). Prendre et tenir la ville de Düren sur la Roer permettra de protéger le flanc droit de l'offensive des 1st ID et 3rd AD sur Aachen. Mais Thompson n'a pas l'air convaincu, et tous au bataillon croient que Collins a oublié qu'ils étaient sur la terre sacrée de l'ennemi, et non plus dans le nord de la France... De plus, il faut traverser une forêt extrêmement dense et difficile tant au niveau du type de terrain que du relief. La route qui mène à Düren traverse cette forêt d'Hurtgen et passe par plusieurs petites villes : Lammersdorf, Rollesbroich, Germeter, Vossenack, Hürtgen, Grosshau, Kleinhau, Gey et puis Düren, sans oublier la fameuse ligne "Siegfried" qui coupe la forêt depuis Aachen jusqu'au sud de Monschau.
Scheffel le sent, il le dit, il l'écrit même : "It's going to be a long day" (Ce sera une longue journée). Ordre de marche pour atteindre la première étape (Lammerdorf) : "C" co. en tête avec un platoon de la "C" co. du 746th Tank Battalion (4 chars Sherman), la "A" co. sur la gauche et la "B" en réserve à l'arrière. La "D" reste sur Roetgen pour couvrir l'avance du bataillon vers Lammerdorf.
La route qui mène à la ville se trouve être une nationale qui vient d'Aachen, passe par Roetgen, oblique vers l'est pour joindre Lammerdorf pour remonter vers le nord et atteindre Düren (la fameuse route de la forêt d'Hürtgen -
Bloody Forest Road). Malheureusement, aucun autre accès. Charles l'imagine bien, l'ennemi doit surement les y attendre.
Départ vers 9h30 du matin, et le 1st Bn a "l'honneur" d'être accompagné du HQ divisionnaire avec la présence du général Craig, ce qui montre toute l'importance de la progression. quelques centaines de mètres et déjà un canon antichar ennemi tire sur la colonne, heureusement sans faire de dégât est très vite neutralisé par le char de tête. La colonne continue jusqu'à un carrefour en Y. Deux solutions : à gauche l'accès direct à Lammersdorf, mais un couloir parfait pour y placer un
Panzerfaust au bout ; à droite pour contourner. Charles s'avance lui-même et sort ses jumelles, observe le chemin qui part vers la droite. Il regarde sur sa carte et y constate la présence, au sud-est, d'une colline parfaite pour un observateur d'artillerie, c'est la colline 554. Il décide donc de prendre à gauche, directement vers la ville...
(Extrait de la carte US d'époque au 1/50.000° - Avancée du 1st Bn dans la journée du 14 septembre)
Une file individuelle s'engage sur la route. Les quatre chars sont suivit chacun d'un Squad d'infanterie du 1st Platoon (1st Lt Francis H. Nolan). Charles suit le dernier char accompagné de son groupe de commandement (Runner - Radio Operator - Communication Sgt). Soudain, on entend une explosion, et le char devant lui commence à reculer très rapidement. Charles plonge dans un fossé avec son radio et son runner, le Sergeant dans un autre fossé, et d'un coup s'abat sur sa compagnie un déluge d'obus de mortier et d'artillerie. De son trou dont il ne peut bouger, il voit plus loin le blindé de tête en feu et une dizaine d'hommes à terre tout autour, mais personne ne sort du char.
Et puis tout s'enchaine, le dernier char, celui derrière lequel se trouvait Charles, est touché et s'enflamme, les deux derniers blindés sont coincés entre les deux épaves immobiles et fumantes. C'est le tir au pigeon. Dans les maisons aux abords de la ville, des mitrailleuses allemandes balayent l'infanterie qui ne sait où s'abriter, les fossés des deux côtés de la route sont remplis d'hommes et certains dépassant sont touchés, et commence alors à s'entasser sur des hommes bien vivants qui ne peuvent plus respirer. C'est l'enfer. Charles ne peut pas bouger et ne voit pas la situation. Il demande à son radio d'appeler le bataillon et la "D" co., mais impossible, son opérateur radio gît sur lui, tué d'une balle dans la tête. Charles tente de prendre son SCR-300 mais personne ne répond. Les tirs d'artillerie ennemie s'intensifient, les morts continuent de s'amasser.
Soudain, le monde de Charles devient noir et silencieux. Il ne voit ni n'entend plus rien. Il essaye de bouger son bras droit mais rien n'y fait. Il croit être mort. Mais une explosion proche de lui le ramène dans le monde réel. Le corps de son opérateur radio l'empêche de bouger, et son Communication Sergeant est juste devant lui, la jambe arrachée, son uniforme rouge de sang. Charles essaye de le secouer, il ne répond pas, il est mort. Charles lève la tête et voit son Runner de l'autre coté de la route, dans le fossé opposé. Sa tête d'un coup tombe de son corps et roule entre ses jambes, il avait fait l'erreur de sortir du fossé pour rejoindre l'autre, et une rafale de mitrailleuse allemande lui coupa la tête.
Puis d'un coup, Charles reprend ses esprits et tente d'analyser la situation. Il entend un tir, caractéristique du mauser allemand, ce qui lui permet d'estimer la distance à laquelle se trouve l'ennemi : il se rapproche. Il ne faut pas rester là. Charles, dans un effort surhumain, pousse les corps qui s’agglutinent sur lui et prend conscience de la gravité de sa situation. Il est rempli de sang de plusieurs de ses hommes, mais aussi de lui. Il est touché à plusieurs endroits.
Il lui manque un doigt, son épaule est perforée, il est touché à la tête... "I wanted to find the ennemy, I did, now I'm scared" (Je voulais trouver l'ennemi, je l'ai fait, maintenant j'ai peur). Et puis soudain, il sent qu'on le tire vers l'arrière. C'est un médic de la "B" co. qui le ramène vers l'arrière. La "A" co. a contourné par la gauche dans les bois, et la "B" est arrivée pour permettre à la "C" de se replier.
C'était le premier jour dans la forêt d'Hurtgen pour le 39th IR, et ils ont progressé de quelques mètres seulement...
(Merci à mon défunt ami Charles Scheffel de m'avoir raconter énormément de choses que je peux partager avec vous)
(Charles en 2008)