Le 28 janvier 2014, Bill était assis dans son fauteuil. A l'extérieur, une semaine d'accalmie avait écarté les chutes de neige à répétition connues depuis les quelques semaines précédentes, il faisait encore -10C mais le soleil était de retour. Lorsque la sonnerie de la porte d'entrée retentit, il cria de sa bouche déformée "Allez-y, rentrez".
Ses visiteurs se présentèrent à lui et immédiatement, il les invita à s'asseoir. Malicieux, il s'intéressa plus aux dames qu'aux hommes présents. La discussion s'amorça tout bonnement par l'évocation des conditions météo, ce à quoi il répondit que "malgré tout le foin que l'on fait des conditions météorologiques du moment, ce n'était rien par rapport à Bastogne". Blagueur sans fin, il tourna bien vite la conversation à son avantage, lui qui en avait vu tant. Sous sa couverture, son fémur droit battait le rythme, tel un indicateur de son effervescence. Il s'arrêta net et, de petits sacs en plastique, il tira une multitude de menus objets qu'il s'empressa de partager sans retenue avec ses visiteurs, qui, un peu gênés, se demandèrent s'il était bon d'accepter. A chaque fois, une question fusait de sa part et il regardait ses interlocuteurs avec un regard malicieux qui annonçait encore d'autres blagues.
Les photos et souvenirs de son frère, décédé en Italie alors qu'il servait dans la 1st armored Division, trônait sur sa table de chevet, tel un souvenir permanent, arrêté dans le temps. Au mur, parmi ses cadres divers, se trouvait la photo de son fidèle ami "Babe" Effron, son compagnon de gloire et d'infortune, il y a 69 ans de là. Partit quelques mois plutôt, il l'avait laissé continuer son chemin seul, alors qu'il habitait à quelques rues de là.
D'un autre côté de la pièce, ses décorations s'affichaient proprement dans une vitrine suspendue, comme un rappel figé d'une jeunesse mise à l'épreuve. Les minutes s'égrainèrent et apprirent à son auditoire qu'il se joua royalement de son handicap lorsqu'il se baladait sur les chantiers de construction à remplir les tâches de tous les corps de métiers confondus, allant même jusqu'à jouer au funambule sur des poutrelles. Cet exercice d'équilibre lui rappela l'anecdote de la mort de la petite amie d'un de ses compagnons d'arme. La pauvre était parvenue à se faire inviter à sauter en parachute, mais elle rencontra le sol plus vite qu'elle ne l'eut cru. Et Bill s'en amusa tant l'épisode fut rocambolesque.
Le soir approchant dans la Winton Street, South Philadelphia, ses visiteurs s'enquérir d'un endroit pour le souper, ce à quoi il proposa son "Dinner" préféré à quelques pas de chez lui. "A gauche, à droite, tout droit. Une, deux, trois, quatre, cinq.... six..... sept rues devant. Stop. C'est là". Interrompant le moment, son téléphone sonna. Son neveu lui précisa son heure de passage pour le lendemain matin, départ matinal pour Las Vegas. Presque hilare, il lança "On va harceler les machines à sous et draguer les femmes", ce qui n'étonna pas ses invités plutôt amusés. A côté de Bill, dans son fauteuil roulant dédicacé par lui-même, comme une marque de fabrique protégée, se trouvait sa veste brodée d'une tête d'aigle "101st Airborne" dans le dos. Bill était fin prêt à partir pour son amusement annuel.
Lorsque ses visiteurs se retirèrent, l'un deux lui posa une question banale mais à laquelle il répondit avec un réalisme lourd de sens : "On se reverra en Normandie dans six mois, si je suis encore là mon gars ! ".
Et Bill ne reverra plus le bocage normand....
Good bye Bill
Greg & Virg