Dead Man's Ridge Walk 2012

La mémoire collective est un concept qui aujourd’hui, est soit méconnu, soit mal interprété par la société dans laquelle nous vivons. Si dans nos pays occidentaux on sait l’existence de manifestations du souvenir, de cérémonies patriotiques ; on constate néanmoins un déclin d’engouement pour celles-ci non seulement par la population, mais également - et c’est plus interpellant - par les autorités et institutions du pays. Les associations patriotiques ou d’anciens combattants subissent le sort malheureux, mais naturel, qui inévitablement emporte les témoins d’un passé proche et avec eux leur histoire. C’est pourtant eux, papys fatigués, qui sont garants de notre mémoire collective, si importante à la réalisation d’une société.

Nous sommes aujourd’hui dans un tournant décisif pour la pérennité de cette mémoire collective en voie de disparition. Le dernier témoin de la Grande Guerre s’est éteint il y a quelques mois d’ici, et ce n’est qu’une question d’années pour que l’on voit disparaître les derniers combattants de cette guerre qui nous a tellement blessé, nous, citoyens d’un monde qui n’est toujours pas libre soixante-sept ans après sa fin. S’il est inutile de tenter vainement un sauvetage de ces vieux bonhommes finissants, la nécessité de sauver leur patrimoine mémoriel est réelle et importante ; et c’est dans cette tâche essentielle que nous nous inscrivons, passionnés d’histoire, « reconstitueurs historiques ».

Nos activités, souvent jugées militaristes par les profanes, rarement comprises pour ce qu’elles représentent réellement, commencent seulement à se faire connaître des responsables institutionnels. Mais, même si beaucoup d’entre-nous considèrent notre loisir comme un devoir vis-à-vis de ce concept de mémoire, c’est, malgré tout, à nous de nous présenter de la meilleure manière qu’il soit, afin que tous puissent non seulement nous connaître, mais également - et surtout - comprendre le sens de notre démarche.

Cette démarche, elle est - et doit rester - une démarche à double objectifs : le premier est la compréhension personnelle de certains faits historico-militaires ; et le second - le plus important à mon sens - est un objectif pédagogique. Le premier objectif est le plus simple puisqu’il suffit de travailler pour soi. Le second mérite quant à lui une attention tout particulière de notre part. La pédagogie - et j’écris en connaissance de cause - n’est pas innée. S’il est aisé de présenter des faits, il est beaucoup plus complexe de les faire comprendre à son interlocuteur, surtout lorsque soi-même on ne maîtrise pas tous les tenants et aboutissants d’un fait historique.

Toute la difficulté est là. Et c’est dans cette optique, je l’espère, que notre association organise chaque année depuis 2008 un événement commémoratif particulier, la Dead Man’s Ridge Walk, ou «Marche de la crête de l’homme mort», sur les lieux des combats menés par les hommes de la 17th Airborne Division de janvier et février 1945. Cette manifestation s’inscrit totalement dans un processus de réflexion mémorielle réunissant les trois générations nécessaires à la transmission de la mémoire collective historique. Parents et enfants peuvent se rendre compte des faits grâce à notre association qui les présente, mais également et surtout grâce aux témoignages existant sous différentes formes.

Ces témoignages sont pour nous la clef de voûte de la manifestation, et dans notre cas précis, il se traduit de la meilleure façon qu’il soit puisqu’il est vivant. En effet, grâce à certains membres dévoués, notre association accueille pour la troisième fois un témoin, héros de notre liberté, véritablement garant d’une mémoire qui comme dit précédemment s’essouffle. Cette année a vu la venue de Monsieur John Schumacher, membre du 194th Glider Infantry Regiment de la 17th Airborne Division. Seuls lui et ses frères d’armes permettent la compréhension d’un passé le plus humainement possible.

Nous, historiens, passionnés ou simplement amateurs, ne mesurons ni l’ampleur du sacrifice que ces hommes nous ont offert, ni la chance que l’on a de pouvoir encore leur parler. Le travail fourni par les membres de notre association ne se limite pas, dès lors, à présenter les faits ni les personnes, mais ils essaient de confronter les individus à ce sacrifice ultime et à la chance qu’ils ont, que nous avons. C’est pour ces raisons qu'ils se démènent pour accueillir ces héros, et c’est pour eux que nous organisons des événements, que nous écrivons des livres, que nous réalisons des recherches. Eux qui, il y a presque soixante-dix années d’ici, vinrent en Europe pour y laisser leur jeunesse, leurs camarades, leur vie.

L’Europe et le nord de l’Afrique sont encore aujourd’hui marqués d’une trace indélébile du sang versé pour la liberté, par le triste intermédiaire de pelouses parsemées de croix blanches sous lesquelles repose la Greatest Generation, sobres symboles de l’ultime sacrifice, uniques héritages de ces jeunes, victimes de l’intolérance noire et totalitaire. Il n’y a aucun intérêt plus grand que de rendre hommage à ces jeunes gens, ainsi qu’à ceux qui, heureusement, ont survécu à cette catastrophe et ont vaincu la tyrannie nazie. Cet intérêt nous uni, nous, membres de la 101st Airborne Belgian Friendly, nous anime et nous motive.

Pendant quatre ans consécutifs, nos membres ont œuvré à la réussite d’un projet qui peut paraître un peu fou dans nos contrées historiques. En effet, organiser une marche en Ardenne belge peut sembler à première vue comme un « copier-coller » des très célèbres et très réussies marches comme celle de Monsieur Émile Lacroix (On the Footsteps of the 82nd Airborne) ou celle de Bastogne (marche du périmètre défensif de Bastogne). Réussir l’organisation et la réalisation d’une petite nouvelle dans ce milieu n’est pas chose aisée, et ce dimanche 25 mars au soir, c’est avec une certaine fierté que les personnes ayant œuvré à la réussite de l’évènement ont constaté son succès : plus de cinq-cents participants venant de toute l’Europe, de tous les horizons et de toutes les générations ont fait le déplacement pour rendre hommages aux hommes de la si peu connue 17th Airborne Division.

Ce dimanche, Houmont et la commune de Bertogne eurent, eux aussi, leur heure de mémoire. Et grâce membres des collèges et conseils communaux, au comité de la 101st Airborne Belgian Friendly, grâce à ses membres ainsi qu’à ceux de la grande famille (Carentan Liberty Group, Team Rborn et la 2nd Armored in Europe), et enfin et surtout grâce aux participants, c’est à une grande fête en l’honneur de la liberté, de John Schumacher et surtout de ses amis qui ne revinrent jamais dans leur foyer à laquelle nous avons participé, entre rires, chaleur et émotion. Merci.